ESSiser l'économie : avec SOGA, AESIO donne l'exemple pour développer l'ESS numérique

AESIO Mutuelle est la deuxième mutuelle de France, couvrant les besoins de 2,9 millions d'adhérents sur l'ensemble du territoire en matière de complémentaire santé et de prévoyance. Nous accueillons aujourd'hui Samira Sameur pour parler d'AESIO, d'économie sociale et de transition numérique.

Présentation de Samira Sameur

Diplômée en Affaires publiques de Sciences Po Paris, Samira Sameur travaille depuis quinze ans dans les relations institutionnelles, l’animation de réseaux et le management de programmes dans l’économie sociale et solidaire.Spécialiste des affaires sociales (prévention santé, emploi, formation professionnelle), elle a notamment travaillé à l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) pendant 8 ans où elle a piloté les stratégies d’influence et de développement au niveau régional, national et européen pour défendre les intérêts de ces employeurs. 

Cela fait aujourd’hui 2 ans que Samira a rejoint AESIO mutuelle en tant que responsable Économie sociale et solidaire. Sa mission consiste à matérialiser et renforcer l'appartenance de la mutuelle à l’ESS auprès de ses différentes parties prenantes sur des dimensions institutionnelle, sociétale et corporate.

 

Parlez-nous d’AESIO, dans quelle mesure cette mutuelle s’inscrit dans le cercle de l’économie sociale et solidaire ?

Notre appartenance à l’ESS est native car nous sommes une entreprise à but non lucratif et notre raison d’être est de permettre à nos adhérents de vivre en meilleure santéToute notre organisation est structurée autour de cette mission avec l’adhérent au cœur. Au cœur de notre gouvernance tout d’abord pour les associer dans la réponse à leurs besoins. En tant que société de personnes, nous n’avons pas d’actionnaires à rémunérer et pouvons de fait concentrer l’orientation de nos bénéfices et l’énergie de nos équipes à répondre utilement aux besoins de santé de nos adhérents.

Comment est organisée AESIO mutuelle ?

Notre mutuelle d’origine a été fondée en 1838 et nous sommes progressivement passés à l’échelle nationale en unissant les forces de plusieurs mutuelles territoriales. En tant que mutuelle de santé, notre activité est réglementée par le Code de la mutualité qui prévoit que nous développions des actions de solidarité et de l’offre de soins. D’où l’existence d’AESIO santé qui gère nos 200 établissements sanitaires, sociaux et médicosociaux qui offrent soins et services dans une logique d’accessibilité financière et territoriale à nos adhérents. Nous sommes aussi activement engagés dans les enjeux de santé publique avec plus de 1300 actions de prévention déployées par an sur des sujets comme la nutrition, la prévention de la perte d’autonomie ou des maladies cardiovasculaires.

Nous avons également une Fondation d’entreprise qui soutient des projets d’utilité sociale, orientés actuellement vers la santé mentale, thématique qui nous est parue essentielle d’adresser dans le contexte post-crise sanitaire.

Vous parlez d’ESSisation, pouvez-vous expliquer ce que cette notion recouvre ?

🔷 ESSisation, une vision économique 

L’ESSisation c’est un mouvement qu’on appelle de nos vœux. Celui d’une ESS qui s'implante dans un maximum de secteurs d’activité de notre économie pour challenger mais aussi inspirer les autres acteurs économiques vers des pratiques plus vertueuses en matière sociale et environnementale.

🔷 Un appel politique à développer l’ESS

      Adressé à la fois aux entreprises de l’ESS… C’est un appel aux entreprises de l’ESS elles-mêmes pour leur demander de renouer avec leur esprit de conquête et continuer de dénicher des besoins sociaux non pourvus, conquérir de nouvelles activités et rester à la proue de l’innovation sociale.

      …Mais aussi au monde Le message c’est aussi dire qu’au moment où on parle du monde d’après et de l’économie de demain, nous pensons que la réponse existe déjà, qu’elle s’appelle ESS et qu’elle n’est pas assez connue et reconnue. Dans nos heures où l’on parle de capitalisme raisonné, nous souhaitons rappeler que l’ESS porte en elle les ferments de ce qu’on fait aujourd’hui en matière de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) et qu’il faut poursuivre en ce sens pour montrer que social et économique ne sont pas incompatibles.

 

Pouvez-vous me parler d’un projet qu’AESIO entreprend en faveur de l’ESSisation ?

Nous avons par exemple développé la campagne “ESS relance” en partenariat avec le French Impact. L’idée était de mieux se faire rencontrer les mesures du Plan de relance et les entreprises de l’ESS dans les territoires. Cela nous est paru évident car le Plan de relance plaide pour des activités plus territorialisées et qui s’inscrivent davantage dans la transition écologique, donc naturellement ciblé vers l’ESS selon nous. On s'est toutefois rendu compte que, pour des effets de taille notamment, la plupart de ces dispositifs et des financements qui y étaient attachés n’arrivaient pas jusqu’aux entreprises de l’ESS. D’où cette campagne qui a permis de décrypter les mesures et favoriser l'information des entreprises sur le terrain via plusieurs webinaires d’informations et des mises en relation entre entrepreneurs, accompagnateurs économiques et administrations. 

En tant que chargée de développement de l’ESS, quels sont les principaux obstacles que vous constatez au développement de l’ESS ?

🔴La menace d’une confusion entre les différents modèles économiques 

En matière d’obstacles, je pense qu’il y a une communication qui nuit à la reconnaissance de l’ESS : on parle de capitalisme raisonné, d’économie à impact, de politiques RSE sans faire de distinctions. Certes c’est intéressant, c’est un mouvement dont socialement on ne peut que se féliciter, même si cela peut parfois être du social washing. Mais il faut affirmer que l’ESS est une économie intrinsèquement différente dans ses modèles car la lucrativité est encadrée pour prioriser la réponse à des problématiques d’intérêt général. En ce sens, elle doit bénéficier de dispositifs légaux et fiscaux dédiés, car les bénéfices de ces entreprises n’iront jamais dans la poche d’actionnaires mais toujours en impact positif pour le territoire (création d’emploi, richesse immatérielle…). 

C’est important d’un point de vue politique aussi de marquer cette différence auprès du citoyen et du consommateur pour qu’ils puissent faire un choix éclairé en utilisant leur pouvoir d’agir et leur pouvoir d’achat à leur escient. 

🔴Le risque du quant-à-soi

L’ESS souffre aussi d’une fragmentation qui nuit à sa compréhension par les acteurs extérieurs.Il faut que les composantes juridiques de l’ESS arrivent à se rassembler sous une même bannière our peser politiquement, avoir un discours commun qui fasse valoir en quoi l’ESS est différenciante, avec des modèles de réussite. Mais il faut aussi que l’ESS ne se replie pas sur elle-même et s’ouvre aux coopérations externesque ce soit avec les pouvoirs publics ou les acteurs lucratifs. Se positionner auprès d’autres permet de montrer la plus-value d’une ESS qui sait justement capter des publics éloignés, avoir une action très territoriale du fait de son histoire ou encore donner la capacité à une action de s’inscrire dans le temps long. En cela, nous prônons une “ESS ouverte”.

 

Dans quelle mesure l’ESS est-elle complémentaire de l’économie à impact ? 

On voit grandir le mouvement autour de l’économie à impact qui vise à mieux connecter l’entreprise à son écosystème et donc à infléchir ses externalités négatives au niveau environnemental, à être plus inclusif, c’est très bien et il n’est pas intéressant de confronter les systèmes. Mais il est important de marquer que l’ESS s’est construite à rebours, c’est-à-dire que la vocation créatrice d’une entreprise de l’ESS est de répondre à une utilité sociale et que le profit n’est pas une fin mais un moyen mis au service de cette finalité. and that profit is not an end but a means to this end.

 

En tant que chargée de développement de l’ESS, quelles évolutions avez-vous constaté ces dernières années dans le secteur ?

⚖️ Un cadre juridique renforcé depuis 2014

Le champ a été renforcé avec une loi éponyme en 2014 qui a permis de donner un cadre juridique à l’ESS, un périmètre défini et de la doter aussi bien sur champ politique que patronal d’une représentation singulière (ESS France et UDES). C’est important pour montrer que les entreprises de l’ESS produisent, emploient autrement et ont une relation à la société différente basée sur l’éthique et la solidarité. #ESSisation 😉 😉 

🟠Sur le terrain, une double contrainte pour les entreprises de l’ESS 

Sur le terrain, ces dernières années ont été complexes pour les entreprises de l’ESS. Elles ont été prises en étau par un double mouvement : avec d'une part, des entreprises lucratives qui investissent de plus en plus leurs métiers traditionnels (petite enfance, aide à domicile, activités sanitaires sociales et médico-sociales), et en parallèle un désengagement des pouvoirs publics pilotes de ces mêmes politiques sociales et qui étaient des alliés traditionnels (conseils départementaux notamment). Ce désengagement s’est manifesté par le développement de dispositifs mettant en concurrence les entreprises de l’ESS, notamment par appels à projet, alors que leur mode d’action naturel est celui de la coopération.

Personnellement, je pense que cela doit inviter l’ESS à se renouveler. Si l’ESS est concurrencée par des entreprises lucratives, elle ne doit justement pas s’interdire elle aussi d’investir des secteurs d’activité plus concurrentiels en misant sur son impact social pour se différencier auprès des consommateurs, qui sont de plus en plus soucieux des questions d’éthique. 

Selon vous, dans quelle mesure la transition numérique peut-elle aider l’économie sociale à se développer ?

La pandémie et les restrictions sociales afférentes nous ont montré que la transition numérique n’est plus une option, et que les entreprises de l’ESS doivent intégrer ce mouvement au même titre que toute autre entreprise. L’objectif est tout bonnement de manager son organisation avec son temps et de s’adapter aux pratiques des consommateurs que nous appelons « adhérents ». 

J’aimerais prendre la question à l’envers et questionner pourquoi la transition numérique gagnerait à s’appuyer sur l’ESS, qui a clairement une carte à jouer dans l’alliance entre innovation numérique et innovation sociale.

S’appuyer sur des entreprises de l’ESS pour penser le numérique et ses usages c’est d’abord mettre un garde-fou aux pratiques algorithmiques déshumanisantes qui ne mettent pas le numérique au service de l’humain mais asservit des travailleurs et des utilisateurs à des seules fins mercantiles. C’est pour ça que les entreprises de l’ESS doivent investir le digital, c’est une responsabilité également pour permettre aux publics fragiles, qu’elles ont en contact privilégié, de ne pas passer à côté des opportunités du numérique. 

 

Comment voyez-vous votre rôle au sein du Social Good Accelerator ?

Nous avons tenu à être partie prenante d’un mouvement qui fait valoir une représentation consolidée des entrepreneurs sociaux et des acteurs numériques au niveau européen. D’autre part, notre souhait est de mettre en commun les réflexions et besoins remontés par nos adhérents en termes de santé numérique au niveau européen et la façon dont cela peut impacter notre modèle social. On l’a vu avec la pandémie, la santé ne connait pas de frontière, et même si nous n’avons pas une présence internationale, il ne nous semble pas trop tôt pour investir ces sujets dans une approche prospective.

Un article écrit par

Justine Coopman
justine(at)socialgoodaccelerator.eu
Affaires publiques et Communication
Lille, France