Internet éthique et souveraineté numérique en Europe

Internet éthique et souveraineté numérique en Europe

Les optimistes de l’internet auraient-ils survécu ?

Étaient-ils au Next Generation Internet Forum 2025 à Bruxelles les 19 et 20 juin ? Nous ne l’écartons pas. En effet, ce que nous retenons après cet événement, c’est que de nombreux projets et leurs porteur·euses œuvrent pour rendre le digital européen – si ce n’est pas ‘parfait’ – meilleur.

L’internet éthique et souveraineté numérique sont des enjeux majeurs pour l’Europe. Alors que la technologie évolue à un rythme rapide, il est crucial que l’Europe conserve son pouvoir sur son écosystème numérique. Cet article explore comment l’Open Internet Stack et les initiatives européennes œuvrent pour une IA éthique qui protège les droits des citoyens tout en favorisant une souveraineté numérique européenne.

Ainsi, ce constat vient après le #NGIForum25, un événement auquel l’équipe du Social Good Accelerator a assisté. Jeanne, Clarisse et Eline ont représenté l’organisation.

Le thème du forum était : “Building a European Internet Stack for European Digital Sovereignty” (Construire une Pile Internet Européenne pour la Souveraineté Digitale Européenne). Ce forum a permis de découvrir l’avancement des projets financés par l’initiative Next Generation Internet (NGI). De plus, ces présentations ont ouvert la voie à des discussions sur des sujets transversaux importants pour les porteur·euses de projets. Les débats ont abordé des sujets allant des challenges du design centré sur les utilisateurs aux moteurs de recherche, en passant par les besoins politiques et les plaidoyers.

L’initiative Next Generation Internet et la place de SOGA dans la souveraineté numérique européenne

La Commission Européenne a lancé le NGI pour soutenir la puissance numérique de l’Europe. Ce projet s’aligne parfaitement avec les sujets chers à SOGA. En effet, nous y avons croisé de nombreux partenaires. Parmi les 1 400 projets numériques soutenus par le NGI, nous avons trouvé des projets comme Open Food Facts, un commun numérique dont les valeurs s’accordent avec celles de l’initiative. Par ailleurs, nous avons aussi rencontré des projets européens comme Mastodon. Lors de l’événement, nous avons échangé avec des acteurs institutionnels tels que la Direction interministérielle du Numérique et la DG Connect.

La Commission Européenne souhaite construire un internet européen axé sur la confiance, la sécurité et l’inclusion. Cependant, ces projets posent la question de la souveraineté numérique européenne, un sujet central du forum.

Pourquoi faudrait-il une souveraineté digitale ?

Des événements récents, comme l’achat de Twitter par Elon Musk, ou le scandale Cambridge Analytica, illustrent bien cette problématique. Alexandra Geese, lors de son intervention au forum, rappelle que les données sont synonymes de pouvoir. “Data is the new oil“, (“Les données sont le nouveau pétrole”) dit-elle. Ainsi, ules instances européennes prennent conscience qu’il est temps de reprendre le pouvoir des données, pour les institutions locales et les citoyen·ne·s.

Un·e panéliste souligne que le web actuel est un compromis inégal. Nous obtenons des services digitaux en échange de nos données personnelles. Or, en tant qu’Européen·ne·s, nous sommes en train de perdre ce compromis. 

Les instances européennes prennent conscience qu’il est temps de reprendre le pouvoir des données, pour les institutions locales et les citoyen·ne·s.

Un·e panéliste fait remarquer que le web actuel repose sur un compromis inégal. En effet, nous échangeons nos données personnelles contre des services digitaux. Cependant, les Européen·ne·s sont en train de perdre ce compromis. Ce constat fait écho à celui rapporté dans l’avis de la Commission Supérieure du Numérique et des Postes, rédigé par Jeanne Bretécher et intitulé “Communs numériques : vers un modèle souverain et durable” :

L’hégémonie des très grandes plateformes conduit les citoyens, les travailleurs indépendants, les petites et moyennes entreprises ainsi que les acteurs publics, à une situation de dépendance vis-à-vis de leurs produits et à la captation des données et de la valeur qu’ils créent. Cette asymétrie des rapports avec ces plateformes menace, à des degrés divers, la souveraineté de l’action publique.

La solution réside dans la souveraineté européenne. Il est donc nécessaire que les États et les instances de gouvernance régulent la gestion des données, la modération et l’utilisation des outils numériques sur leur territoire.

L’Open Internet Stack : oignon numérique

L’une des solutions proposées pour restaurer la souveraineté numérique est l’Open Internet Stack (OIS), ou Pile Internet Ouverte. Ainsi, pour illustrer ce concept, l’un·e des panélistes a utilisé l’image d’un oignon : internet est composé de plusieurs couches. Pour changer le web, il faut changer chaque couche.

De ce faur, l’objectif de l’OIS est de remplacer ces couches par des solutions open source, libres et interopérables. Ces solutions sont développées avec l’utilisateur·rice à l’esprit et un code éthique clair. Une fois l’oignon reconstruit, les utilisateurs auront plus de pouvoir sur leurs outils numériques. Ils n’auront plus à dépendre des solutions commerciales privées.

Thibaut Kleiner, directeur de la DG Connect, affirme que l’OIS représente une solution concrète pour transformer l’écosystème digital en un cyberespace libre, durable et interopérable.

Un internet ouvert, et européen

Les projets NGI présentés lors du forum démontrent la volonté de transformer nos usages du numérique. Ces projets prouvent aussi que des solutions existent déjà. De plus, les talents derrière ces initiatives sont prêts à relever le défi. L’objectif européen, présenté par Thibaut Kleiner, consiste à capitaliser sur les 1 400 projets NGI pour accélérer le déploiement de solutions ouvertes et viables. Cet objectif prend forme à travers le projet Eurostack.

À l’image de l’OIS, l’Eurostack propose des alternatives ouvertes à toutes les couches de l’internet. En somme, un oignon 100% européen, cultivé avec des matériaux locaux. Cela permettrait aux acteurs européens d’avoir un contrôle quasi absolu sur l’espace digital et de reprendre le pouvoir.

Cependant, cette solution souveraine soulève des enjeux. Un des leitmotivs du forum est l’importance des investissements. Que ce soit financier ou humain, l’Eurostack et l’OIS nécessitent des ressources pour se développer. Ils doivent se faire connaître et être viables sans capitaliser sur les données personnelles.

Un autre enjeu soulevé lors du forum est la nécessité d’un soutien politique. Cela inclut un plaidoyer fort, une résistance contre les lobbies des grandes plateformes, et des législations concrètes autour du Open Source. Par exemple, il serait essentiel de systématiser l’usage de solutions libres dans le secteur public.

La vision d’une Europe souveraine, ou d’une Europe autonome

Le terme “souveraineté” peut prêter à confusion. Certains panélistes rappellent que l’objectif n’est pas de cloisonner l’internet européen. Un·e participant·e propose l’alternative de l’autonomie stratégique européenne. L’objectif est de rééquilibrer les rapports de force sur les outils numériques. Thibaut Kleiner insiste sur le fait que la souveraineté n’est pas une question de protectionnisme, mais de prospection vers l’avenir et de valorisation des talents européens.

Œuvrer pour l’autonomie stratégique et les communs, à notre échelle

Cette vision de l’autonomie stratégique plutôt que de la souveraineté est partagée par d’autres acteurs, comme la Coop des Communs. L’association organise un événement à Paris le 1er juillet, intitulé “Pour une autonomie numérique fondée sur les communs”. SOGA interviendra lors de cet événement sur les communs numériques et le droit européen.

Que ce soit pour la souveraineté ou l’autonomie stratégique européenne, pour soutenir un numérique au service du bien, dans des événements comme le NGI Forum ou les rencontres de la Coop des Communs, c’est en soutenant le SOGA que vous pouvez participer à cette transformation.

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Podcast : Jeanne sur l’IA et l’économie sociale

Podcast : Jeanne sur l’IA et l’économie sociale

🎙️ Accélérer la transformation numérique de l’Économie Sociale et Solidaire : Jeanne Bretécher au micro du podcast Parlez-moi d’IA

Comment faire du numérique un levier au service de l’intérêt général ? Dans un épisode engagé du podcast Parlez-moi d’IA, Jeanne Bretécher, directrice du Social Good Accelerator, explore les liens entre transformation numérique de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), innovation sociale et technologies éthiques.

👉 Un échange essentiel pour toutes celles et ceux qui croient à un numérique au service du bien commun.

Enjeux clés : comment accompagner la transition numérique de l’ESS ?

Dans cet entretien, Jeanne revient sur les principaux défis rencontrés par les structures de l’ESS face à la révolution numérique :

  • L’inégalité d’accès aux compétences numériques,

  • La surreprésentation des logiques de marché dans les outils numériques dominants,

  • L’absence de soutien public structurant pour des modèles numériques alternatifs.

Elle défend une vision ancrée dans les valeurs de l’ESS : coopération, justice sociale, transparence, et souveraineté numérique.

Les Communs numériques comme boussole

Jeanne souligne l’importance des communs numériques dans la transition numérique ESS :
👉 mutualiser les ressources (outils, formations, données), renforcer l’autonomie des associations, créer de la valeur partagée.

Des exemples concrets sont évoqués : plateformes collaboratives, tiers-lieux numériques, solutions open source développées avec et pour les acteurs de terrain.

Le rôle du Social Good Accelerator

Le SOGA agit sur quatre leviers complémentaires :

1. Recherche sur les Communs

Pour cartographier les pratiques, identifier les freins et proposer des outils adaptés aux besoins du secteur.

2. Accompagnement collectif

Formations, ateliers, communautés d’entraide : un soutien concret pour développer les compétences numériques des structures ESS.

3. Plaidoyer

Le SOGA interpelle les décideurs européens pour intégrer les spécificités du secteur social dans les politiques numériques

4. Animation de la communauté

En ligne ou sur le terrain, le réseau SOGA accompagne les initiatives, valorise les pratiques et renforce la social tech européenne.

Pourquoi écouter ce podcast ?

Ce podcast est une invitation à :

  • Réfléchir autrement à la place du numérique dans nos sociétés,

  • Découvrir des projets inspirants portés par et pour l’ESS,

  • Comprendre comment agir, en tant qu’acteur·rice engagé·e, pour une transformation numérique inclusive.

🎧 Écoutez l’épisode complet sur YouTube

📄 Ou lisez la transcription complète ici

Écoutez l’interview complète ici :

Résumé de l’épisode :

Dans cet épisode riche et inspirant, Jeanne fait une intervention éclairée autour de trois thématiques centrales :

  • L’enjeu de la transformation numérique dans l’Économie Sociale et Solidaire (ESS)
    Jeanne décrypte comment le numérique peut à la fois représenter un risque d’acculturation et une opportunité inédite pour les structures ESS.

  • L’importance des communs et de la mutualisation
    Elle insiste sur la nécessité de développer des ressources partagées, tant techniques qu’humaines, pour renforcer l’autonomie des acteurs et promouvoir des solutions centrées sur des valeurs sociales.

  • La place du Social Good Accelerator
    Elle présente les quatre leviers de l’association – recherche sur les Communs, projets collectifs, plaidoyer, community management – et illustre leur impact concret sur les acteurs membres.

(Bonus) Jeanne illustre ses propos par des retours d’expériences et des exemples concrets montrant comment les structures tirer profit d’un accompagnement adapté.

Ce que vous allez apprendre

1. Pourquoi le numérique est-il un levier d’émancipation pour l’ESS ?

Jeanne explique comment les valeurs coopératives, la justice sociale et la démocratie peuvent être défendues dans l’espace numérique. Elle détaille aussi les freins à lever (ressources, compétences, gouvernance).

2. Quels modèles alternatifs existent déjà ?

Elle met en lumière des initiatives de tiers‑lieux, des plateformes co-conçues avec les usagers et des réseaux solidaires numériques. Des solutions innovantes qui bousculent les modèles traditionnels.

Aller plus loin : ressources pour les associations en transition numérique

Vous êtes une association en pleine réflexion sur vos outils ou pratiques numériques ? Découvrez notre sélection de projets, guides et formations.

📌 À lire aussi : IA : 3 cas d’usage de l’intelligence artificielle pour l’intérêt général

✨ En conclusion

Ce podcast est une ressource précieuse pour toute personne qui souhaite comprendre les enjeux de la transformation numérique de l’Économie Sociale et Solidaire, s’inspirer de solutions numériques éthiques et rejoindre une dynamique collective au service du bien commun.

Rejoignez-nous pour inventer un numérique qui respecte les valeurs de l’ESS !

Éthique et performance : le cas du développement de ChatGPT

Éthique et performance : le cas du développement de ChatGPT

Éthique et performance : le cas du développement de ChatGPT

ChatGPT n’est pas seulement une révolution technologique : c’est aussi un cas d’école en matière de responsabilité sociale des entreprises.
Conçu à l’origine comme un contre-modèle aux GAFAM au sein d’une organisation à but non lucratif, OpenAI, la société à l’origine de ChatGPT, a progressivement basculé vers un modèle capitaliste.

L’affaire révélée par le magazine Time sur les conditions de travail des sous-traitants kenyans — employés par Samasource, une ancienne ONG devenue entreprise à but lucratif — a mis en lumière les paradoxes du modèle.
Ces révélations posent une question de fond : les statuts “non lucratifs” servent-ils aujourd’hui de tremplin à des entreprises technologiques motivées par le profit plutôt que par l’intérêt général ?
Retour sur un cas emblématique et les interrogations qu’il soulève.

Bien que le secteur à but non lucratif se structure traditionnellement autour de valeurs de gouvernance démocratique, de transparence et d’éthique, certaines situations viennent interroger cette éthique de solidarité.
Comme toute entreprise, les organisations à but non lucratif sont confrontées à des pressions économiques : baisse de revenus, difficultés de trésorerie, plans sociaux…
Ces contraintes les obligent parfois à faire coexister éthique et performance, au risque que la recherche d’efficacité supplante progressivement la mission d’intérêt général.

L’évolution d’OpenAI : du modèle non lucratif au statut à but lucratif limité

Fondée en 2015 par Elon Musk et Sam Altman, OpenAI naît comme une organisation à but non lucratif.
Son ambition initiale : développer une intelligence artificielle au service du bien commun, en opposition aux modèles de captation de données des géants du numérique.

Mais en 2019, un an après le départ d’Elon Musk, la structure change de statut pour devenir une “limited-profit company”, un modèle hybride américain permettant d’accueillir des capitaux privés tout en plafonnant la rémunération des investisseurs.
Malgré cette évolution, OpenAI continue d’affirmer que sa mission est de « développer une intelligence artificielle pour le bénéfice de toute l’humanité ».

Jusqu’à la publication de l’enquête du Time en janvier 2023, l’entreprise cultivait une image d’éthique et de transparence fidèle à ses origines.
Mais l’enquête révèle que pour résoudre les problèmes de toxicité linguistique dans ses modèles d’IA, OpenAI a eu recours à un prestataire basé au Kenya, où des travailleurs ont été exposés à des contenus violents et haineux pour un salaire dérisoire.

Dans sa réponse officielle, la direction d’OpenAI affirme ne pas avoir eu connaissance des conditions de travail de ce sous-traitant.
Cependant, l’affaire a profondément écorné son image de pionnier éthique de l’intelligence artificielle.

De fortes pressions dans un secteur ultra-compétitif

Ce scandale révèle le paradoxe entre compétitivité et éthique dans le secteur de l’intelligence artificielle.
Pour rester dans la course face aux GAFAM, OpenAI s’est heurtée aux limites de ses engagements moraux.

Le prestataire mis en cause travaille d’ailleurs pour la plupart des concurrents directs d’OpenAI, en raison de tarifs extrêmement compétitifs.
Les géants comme Google, Meta ou Microsoft ont eux aussi recours à ces sous-traitants chargés de filtrer les données violentes ou haineuses, dans le cadre de l’entraînement de leurs modèles.

OpenAI n’a donc pas inventé cette pratique : elle l’a reproduite pour survivre dans une industrie dominée par la logique de vitesse et de performance.
Son évolution – du statut juridique à la recherche de fonds – l’a rendue de plus en plus semblable à ses concurrents, y compris dans ses méthodes.

La principale critique adressée à OpenAI tient à l’incohérence entre son discours et ses pratiques.
L’entreprise s’était imposée mondialement grâce à un positionnement moral fort. Lorsque la réalité de son fonctionnement a été dévoilée, une partie du public s’est sentie trahie.

Mais il serait injuste de généraliser ce cas à l’ensemble du secteur non lucratif ou à celui de l’IA.
Le développement de l’intelligence artificielle reste une opportunité majeure pour la Social Tech, qui pourra s’appuyer sur ces outils pour produire des innovations éthiques, responsables et utiles au bien commun.

Quelle est la position de ChatGPT lui-même ?

Pour clore l’analyse, ChatGPT a été interrogé sur le dilemme éthique auquel ses créateurs ont été confrontés : productivité ou éthique ?
Sa réponse est sans équivoque :

« Les entreprises qui se revendiquent d’un modèle éthique ou à but non lucratif ont une responsabilité envers le public et le reste du secteur. La transparence et la redevabilité sont des conditions essentielles de la confiance. »

Une position lucide, bien éloignée des ambitions financières actuelles d’OpenAI, qui prévoit désormais d’atteindre 1 milliard de dollars de revenus d’ici 2024 — un objectif qui s’éloigne sensiblement de son intention initiale : créer une intelligence artificielle au service de l’humanité.