Le développement de l'IA dans l'économie sociale : la technologie au service de l'impact social
L’intelligence artificielle (IA) est en plein boom. Avec l’arrivée de ChatGPT, une centaine d’experts demandent par une lettre ouverte du 28 mars 2023de faire une pause dans le développement de l’intelligence artificielle afin de prendre le temps de considérer ses aspects éthiques. Notre article précédent a montré que dans des secteurs technologiques en tension comme celui de l’intelligence artificielle la nature non profit des organisations ne suffit plus pour s’assurer des valeurs défendues par ces dernières.. C’est en partie pour ces raisons que les organisations de l’économie sociale se méfient généralement du développement de ces nouvelles technologies. Pourtant comme nous allons le voir, le développement des IA dans l’économie sociale pourrait mettre la technologie au service de l'impact social.
Avant de s’intéresser à leurs usages, il est pertinent de rappeler ce que sont les IA et la manière dont elles fonctionnent. Au sens strict du terme, une IA est un ensemble de techniques qui permettent aux machines de simuler certaines caractéristiques de l'intelligence humaine.Dans le cas de Chat GPT, le logiciel base son fonctionnement sur un système dit neuronal GPT Generative Pre-Trained Transformer. Il s’agit d’un modèle d’apprentissage automatique qui analyse et décode le texte d’entrée pour fournir une réponse à l’utilisateur en partant d’un vaste corpus de données. Le logiciel génère des réponses en se basant sur des modèles statistiques et des associations de mots plutôt que sur une compréhension réelle du contenu. Bien que pouvant y ressembler dans certains secteurs et avec certains entraînements spécifiques, les experts ne sont pas unanimes pour décrire les logiciels circulant actuellement comme des intelligences artificielles avec une capacité de raisonnement.
A travers cet article, nous proposons d'explorer les possibilités et les usages dans l'économie sociale de ces logiciels développés avec des technologies d'apprentissage et qui tendent à s'approcher d'une intelligence artificielle.
L’intelligence artificielle pour mieux cibler les campagnes de don
Source : https://dataro.io/2021/03/09/artificial-intelligence-for-nonprofits/#use
Il s’agit en rouge du démarchage classique non ciblé, en vert le ciblage classique et en bleu le ciblage réalisé grâce à des algorithmes. L’intelligence artificielle permet d’améliorer l'efficacité des campagnes d’appels aux dons en identifiant les profils de donateurs et en orientant au mieux les envois de mail. C’est donc un gain d'efficacité, de rentabilité mais également un argument écologique en réduisant le nombre de mails donc l’impact carbone d’une campagne.
L’intelligence artificielle permettrait donc de toucher plus efficacement certains contributeurs. Il faut pour autant émettre certaines réserves quant à la déployabilité de l’outil à grande échelle et à sa réelle efficacité. Il est difficile d’être catégorique sur l'efficacité de ces techniques, le manque de données open source en rend l’exploitation difficile et assez peu fiable.
La mesure d'impact améliorée par l'analyse des sentiments par l'intelligence artificielle
L'objectif principal des organisations de l'économie sociale est de créer de la valeur sociale, mais celle-ci est difficile à quantifier en raison de la complexité des impacts produits par ce secteur. Il s'agit d'un processus complexe et coûteux, tant sur le plan économique qu'en termes de ressources humaines, qui est pour autant au cœur de l'amélioration et de l'innovation du secteur de l'économie sociale.
L'analyse d'impact permet d'améliorer leurs pratiques et de mieux communiquer leur impact à leurs parties prenantes.Il s’agit d’un enjeu qui est au cœur de l’utilisation et du développement des intelligence artificielle. Ces outils permettent déjà à travers des analyses de grande échelle d'analyser les sentiments exprimés par des parties prenantes. En utilisant les données collectées sur les réseaux sociaux par exemple, cela permettrait de dégager des tendances sur l'impact des programmes, services ou efforts de collecte de fonds mais également de la manière dont ils sont perçus dans la population.
Le développement d’une intelligence artificielle spécifiquement conçue dans le but d' analyser le ressenti d’un échantillon de la population vis à vis d’une action. pourrait être une solution aux difficultés rencontrées par les acteurs de l'économie sociale sur ce sujet.
Le développement de l'IA dans l'ESS : l'avis interne d'un expert
Nous avons eu la chance d’échanger avec un expert national en data science et intelligence artificielle travaillant pour une grande mutuelle. Développant lui-même des outils d’intelligence artificielle, il nous a offert un aperçu interne de l’état actuel du développement de ces technologies dans l’économie sociale. Il a clairement constaté des progrès récents dans un secteur qu’il définit tout de même comme “difficile à faire bouger”. Pour lui, les entreprises de l'économie sociale et solidaire (économie sociale) ont du mal à avancer dans l'adoption de la data science et de l'intelligence artificielle notamment à cause de la vision négative dont souffrent ces domaines.
« Pendant longtemps les sujets de l’intelligence artificielle dans l’ESS ont été sous-considérés et perçus comme réservés aux “geeks." »
L’économie sociale connaît également des obstacles au niveau de la collecte de données. En effet selon notre expert les principales difficultés rencontrées par les acteurs de l'économie sociale se trouvent dans la mise en place de processus de collecte de données et la délivrance des résultats et prédictions. Dans le domaine mutualiste, la gestion des risques se ferait principalement à partir de l'expérience métier, il est donc difficile de changer les méthodologies pour mettre en place des outils performants et automatisés.
Malgré ces obstacles, l'intelligence artificielle peut apporter de nombreux avantages dans le secteur de l'économie sociale. Les outils développés par la mutuelle pour laquelle travaille notre expert permettent d'optimiser la relation client en comprenant mieux les motifs de contact, en triant les mails et les documents papiers numérisés, et en automatisant les demandes courantes. Ces outils peuvent également détecter plus facilement les fraudes et ainsi améliorer l'efficacité et la rentabilité de l'entreprise.
« Les résultats de ces investissements menés durant la dernière décennie sont déjà palpables, on remarque des gains de temps et des améliorations significatives de la relation client. »
Conclusion
En conclusion, l'utilisation de l'intelligence artificielle dans le secteur de l'économie sociale est un sujet qui soulève des questions éthiques importantes, notamment en termes de collecte et d'utilisation des données. Cependant, l'intelligence artificielle peut offrir des opportunités d'améliorer l'efficacité et la durabilité des campagnes de collecte de fonds, ainsi que de mesurer l'impact des actions entreprises. Si la littérature en France sur ce sujet est limitée, des entreprises et des experts travaillent déjà sur des solutions d'intelligence artificielle spécifiquement conçues pour ce secteur.
Convaincu par cette utilité, le Dr. Lobna Karoui, membre du conseil de Forbes et avocate spécialisée dans l’éthique des intelligences artificielles a a donné un aperçu des applications de l'intelligence artificielle dans le secteur de l'économie sociale.Que ce soit pour collecter des fonds, améliorer l'efficacité de leurs mesures ou mieux connaître les besoins des bénéficiaires, pour elle l’intelligence artificielle est un atout pour les organisations. Pour autant elle met en garde, les IA ne peuvent ni ne doivent remplacer les qualités humaines des acteurs de l'économie sociale.
Le secteur évolue et nul doute qu’il se montrera à la hauteur des enjeux sociétaux soulevés par les intelligences artificielles. Il reste important de veiller à ce que ces outils soient développés de manière éthique et responsable, afin de préserver l'intégrité et les valeurs des organisations de l'économie sociale.