Analyse du rapport sur les communs numériques

À l’occasion de l’Assemblée numérique co-organisée à Toulouse les 21 et 22 juin par la présidence française du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, le rapport sur les communs numériques a été publié. This report was initiated by France during the conference ‘Building Europe’s Digital Sovereignty’ organised on 7 and 8 February. 

Ce rapport est le résultat d'un travail collectif mené par un groupe composé de 19 États membres de l'Union européenne (UE) et de la Commission européenne.

L'objectif était d’imaginer collectivement un projet pour promouvoir et accélérer le développement des biens communs numériques.

Les communs numériques, piliers de la souveraineté numérique européenne

Selon la définition d'Elinor Ostrom, lauréate du prix Nobel d’économie en 2009, un bien commun est défini comme une ressource conçue et régie par une communauté, avec des règles d'accès et de partage établies. Un bien commun numérique, c’est donc une ressource numérique telle qu’une plateforme, un site web ou encore une application dont la particularité est qu’ils appartiennent à tous et peuvent être modifiés par tous. En d’autres termes, la gouvernance de cette ressource est gérée de manière démocratique et ascendante, c’est-à-dire du bas vers le haut. 

Le postulat de base est que des communs numériques bien entretenus offrent « une occasion unique de soutenir la souveraineté numérique européenne ».

D’abord, dans de bonnes conditions, les biens communs numériques contribuent à la préservation du contrôle par les puissances extérieures. En effet, un bien commun numérique n’est par définition ni dans les mains d’une seule grande entreprise, ni dans celles d’un seul État. Cette possession partagée vise à prévenir les risques d’abus.

Ensuite, les biens communs contribuent à la valorisation collective d’une ressource numérique et à la réutilisation des données et infrastructures numériques la concernant. Les communs numériques favorisent donc l’innovation, la valeur sociale et la durabilité. L’intelligence collective est en effet décuplée par l’accès gratuit aux informations et la possibilité d’enrichir la ressource.

Enfin, les communs numériques constituent un pilier en matière de cybersécurité, à condition qu’ils soient bien entretenus. En d’autres termes, selon l’adage d'Eric S. Raymond, « si l'on a assez d'yeux, tous les bugs sont superficiels » (The Cathedral and the Bazaar, 1999).

 

Un besoin fort de visibilité et d’acculturation aux communs numériques

Cependant, sans un changement culturel sur la compréhension de la valeur ajoutée des biens communs, leur durabilité est menacée par un manque d'utilisation et de contribution. » Comme le souligne ce rapport, les communs numériques représentent d’excellents outils pour tendre vers une souveraineté numérique européenne, à condition d’être largement utilisée. Il est vrai que sans une large utilisation et contribution, la ressource peut rapidement devenir inefficace et obsolète. D’où les propositions du rapport visant premièrement à donner de la visibilité aux communs numériques, et deuxièmement, à gagner la confiance des différents acteurs, en particulier ceux de la communauté des biens communs numériques.

Quatre propositions pour promouvoir et accélérer le développement des biens communs numériques

Proposition n°1 : Créer un guichet unique européen pour orienter les communautés vers les financements et aides publiques adéquats

L’idée est de créer une plateforme afin de centraliser à un niveau européen le processus de recherche de financements publiques par les communautés numériques en fournissant notamment orientation, expertises et ressources.

 

Proposition n°2 : Lancer un appel à projet aux communs les plus stratégiques

Un appel à projet sur les biens communs numériques permettrait de répondre aux problématiques financières que rencontrent la majorité des biens communs, au regard de leurs ressources limitées.

Une orientation des fonds vers des biens communs numériques thématiques est recommandée. Les thématiques identifiées comme prioritaires par le groupe de travail sont la recherche, l’administration en ligne et les éléments stratégiques.

 

Proposition n°3 : Créer une fondation européenne pour les communs numériques

La création d’une fondation européenne se révèle être la proposition la plus ambitieuse. « En coordination avec les objectifs politiques de l'UE, la structure viserait à favoriser le développement d'écosystèmes de biens communs numériques à travers l'Europe, afin de renforcer les communautés existantes et d'encourager la réutilisation des ressources numériques, tout en facilitant la diffusion du modèle de biens communs numériques en soutenant la génération de nouveaux biens communs numériques. »

Mais, elle ne deviendrait un véritable catalyseur, soutien et promoteur des biens communs numériques “que si sa gouvernance est ouverte et partagée avec les communautés concernées.” La gouvernance serait donc partagée entre les États, la Commission européenne et les communautés des communs numériques. De plus, une équipe permanente serait dédiée au soutien de cette structure.

 

Proposition n°4 : Montrer l’exemple, le principe des communs numériques par défaut

Cette proposition vise à ce que les administrations nationales et européennes évaluent en priorité la possibilité d’une solution utilisant des codes à source ouverte et des données ouvertes dès qu’ils sont confrontés aux développement de ressources numériques.

Conclusion : la portée du rapport

Salué par bon nombre de membres de la communauté des biens communs numériques, ces propositions sont encourageantes pour l’avenir et s’inscrivent pleinement dans les objectifs climatiques et numériques de l'Union européenne.

La prochaine étape est suggéréepar le rapport. Il s’agit d’une vaste consultation ouverte à ce sujet de manière coordonnée avec le lancement de l’appel à projet. Toutefois, la prudence est de mise. En effet, la présidence tchèque de l’Union européenne - qui a débuté le 1er juillet 2022 - doit prendre la relève pour assurer l’ensemble des défis se présentant. Mais la Tchéquie est un État membre visiblement absent de la liste des États membres ayant soutenu le rapport. L’adoption de ces recommandations pourrait donc être ralentie.

Enfin, pour compléter ces éléments, les acteurs du secteur, dont Wikimédia France Framasoft, ou encore Mobicoop, se sont emparés de la question. Ils ont, à leur tour, édicté un ensemble de propositions en vue du même objectif.

Les communs numériques ont encore un bel avenir. À ce sujet, notre prochaine étude portera sur les nouveaux modèles d’économie citoyenne et contributive en Europe. Cette étude analysera les pratiques, partenariats et effets de deux communs numériques par des acteurs de l'économie sociale : Open Street Map et Open Food Facts.

Un article écrit par

Justine Coopman
justine(at)socialgoodaccelerator.eu
Affaires publiques et Communication
Lille, France